« Le Brexit, je le ferai, et je ferai en sorte que ce soit une réussite »Theresa May est encore ministre de l’Intérieur du Royaume Uni lorsqu’elle prononce ces mots le 11 Juillet.Des le 13 juillet elle sera Premier Ministre, et c’est donc bien elle qui aura à signifier a ses partenaires européens l’ intention de son pays de quitter l’Union, et à boucler, en deux ans , soit 730 jours, la négociation .
Le choix , le jour même de son investiture , de Boris Johnson comme ministre des affaires étrangères sonne comme une confirmation de son intention de ne pas ignorer ou contourner le choix du peuple .La consternation règne à Bruxelles, Berlin et Paris : comment en est on arrivé là ?La réponse est dans a mise en œuvre de l’article 50 combinée a l’usage du referendum
L’article 50
Cet article 50 est une curiosité. Il se trouvait déjà, en effet, dans le « traité constituant », rejeté par le referendum français de 2005 . Or ce que ce traité installait était bien une Constitution pour ce qui devait devenir un super Etat , l’Union des Etats Unis d’EuropeImagine- t -on un Etat , même fédéral , comme les Etats unis ou l’Allemagne , inscrivant dans sa Constitution une clause de sortie , un opting out non pas partiel , mais total ?Alain Lamassoure , vice président des francais du groupe PPE et candidat a la succession de Martin Schultz, à la tête du parlement européen, parle ,interviewé le 28 Juin sur Europe 1 de « formidable gachis « .C’est pourtant lui qui est à l’origine de cet article ! Son idée etait d’inclure cette disposition dans le traité « constituant » afin de faire pression sur les anglais et les autrichiens , réticents a l’idée de le signer
Face a ce qui est bien un retour de bâton, Il n’est pas le seul parmi les responsables européens ou nationaux à manifester un désarroi mélé a de la mauvaise humeurDe maniere générale on respire depuis les 24 juin dans les couloirs des institutions européennes un parfum de revanche .Ce membre du club européen qui n’a jamais voulu en être totalement, on va lui faire payer ses velléités d’indépendance . Il va beaucoup perdre dans cette négociation . Ca renflouera les caisses de l’Union, et ca dissuadra d’autres malins de faire de même , et de ruiner ainsi le beau rêve européen .
Une telle attitude n’est pas conforme à l’esprit du texteL’article 50 dit benoîtement » Tout Etat membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union « Il n’y a pas a invoquer de griefs, ni même de simple incompatibilité d’humeur , aucun motif n’est exigé .De ce fait il n’y a pas non plus de « punition », simplement une négociation « fixant les modalités de son retrait en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l’Union . »Il n’y a dans cette formulation nulle menace, juste la porte ouverte à une modulation , la séparation pouvant se faire sur tous les engagements pris ou sur une partie seulement .Pourtant certains voient dans le délai de deux ans mis a la conclusion des négociations une arme absolue .
Dans un article du Monde du 12 Juillet Sebastien Platon et Francesco Martucci , universitaires, anticipent déja l’apocalypse , le lâchage en rase campagne de l’Etat membre qui n’aura pas tout bouclé en 730 jours . ils parlent de » rupture seche » et de « futur ex etat membre devenant brusquement un pays tiers sans aucun lien avec l’Union, avec des relations bien plus similaires à celles entretenues avec la Corée du nord qu’avec la Suisse »C’est oublier que le texte prévoit très clairement que ces deux ans peuvent être prorogés d’un commun accord entre l’Union et l’Etat .Et c’est bien normal .
Dans ce qui ressemble fort a la liquidation d’un régime matrimonial, imagnie t on de laisser brusquement , a un dies ad quem fixé à l’avance , les époux avec sur les bras une liquidation inachevée ?D’autres mettent tous leurs espoirs dans l’inconnue des « regles constitutionnelles applicables
L’article 50 t dispose ; » Tout Etat membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles , de se retirer de l’Union « Or la Constitution britannique est non écrite , et des incertitudes peuvent exister .Sur la compétence de la prérogative royale d’une part . Sur la possibilité ou non pourle Parlement de Westminster de ne pas tenir compte de ce referendum d’autre part….
Sur ce point Sebastien Platon, et Francesco Martucci ,dans l’article du Monde du 12 Juillet 2016 précité ecrivent « Considerer que l’expression d’une volonté directe du peuple s’impose à ceux qui ne sont que ses représentants serait ici méconnaitre un point cardinal du droit britannique : la souveraineté du parlement »Ce n’est pas l’avis de Theresa May
Elle a l’appui de la Reine .qu’elle a rassurée sur ses intentions relativement a l’unité du Royaume . Elle a du reste réaffirmé sa fermeté sur cette question primordiale des son discours d’investitureCertes, la bataille sera plus rude a la chambre des Communes où sa majorité est courte et où une partie de son camp est anti Brexit . Mais son investiture semble s’être déroulée dans un climat détendu de bon augure . De plus , ayant elle même défendu le « remain » avec David Cameron, elle sera mieux armée que d’autres pour les convaincre de modifier a leur tour leur position afin de respecter la volonté populaire .
Quand à la chambre des lords . son président, Sir Jonathan Hill était le Commissaire européen en charge de la stabilité financiere ,des services financiers et de l’Union des marchés de capitaux …Démissionnaire le 25 juin il a été remplacé des le 8 juillet par Sir Julian King. Les Lords ne seront donc pas nécessairement un obstacle mais pourraient aider efficacement a la conclusion d’un accord financier …La plupart affirment , comme le président Francois Hollande, grand adepte des ruptures brutales , que ce « divorce » devait se faire vite et que le faire trainer en longueur serait préjudiciable à l’Union Europeenne.
Mais le fait que Thérésa May ait précisé des le 11 juillet sous les » yeah » approbateurs des membres de son parti qu’elle voudra « le meilleur accord pour son pays » signifie qu’elle ne va pas précipiter les choses et rester sur le timing évoqué des le lendemain du referendum par David Cameron, celui d’une notification au Conseil Européen à l’automne .
L’une des raisons invoquées pour une rapidité des négociations est le rôle inconfortable des anglais présents dans les institutions européennesLe Commissaire anglais en poste a démissionné « apres une entrevue avec jean Claude Juncker « , ce qui laisse supposer que ce dernier l’y a incité .Alain Lamassoure de son coté a exprimé, dans l’interview a Europe1 précitée, son souhait que les députés ou ministres anglais ne siègent plus pour statuer sur des textes qui peut être ne les concernent plus .
Certains partisans du « remain » en colère ont même entrepris de descendre le drapeau anglais de sa hampe devant le Parlement !Cela, encore une fois, n’est pas conforme à l ‘article 50 qui dispose que les traités « cessent de s’appliquer à l’Etat membre a la conclusion de l’accord. » mais pas avant . Même si bien sur ,il est prévu par les textes que les anglais ne pourront être admis a siéger lorsque les différentes instances de l’Union statueront sur mes odalités du Brexit
Le referendum
Ces diverses expressions, brouillonnes et précipitées, d’une animosité marquée de certains chefs d’Etats et autorités de l’Union est causée par la peur .Il faudrait vite effacer, ne plus en parler, passer à autre chose , tant les craintes d’une contagion de l’article 50 sont grandes .Elles ne sont pas infondéesSe retourner vers des dirigeants nationaux déterminés à les protéger est le reflexe que les peuples de Hongrie , d’Autriche , de France pourraient bien avoir à leur tourDu coup il importe non seulement d’évacuer au plus vite ce Brexit , mais aussi de dénoncer l’arme qui a permis cette forfaiture : le referendum .
En France le débat est ancien . Apres l’usage et qu’en firent les Bonaparte , le recours direct au peuple alors appelé « plebiscite » fut considéré comme l’apanage de la tyrannie et rangé aux oubliettes jusqu’à ce que Charles De Gaulle en fasse en 1958,sous la nouvelle apellation de « referendum », un des piliers de ce régime alliant » Un Chef d’Etat fort et un peuple rassemblé » dont il rêvait
Mais ses successeurs n’en ont pas fait le même usageC’est peut être cependant un réflexe « gaullien » qui a poussé Jacques Chirac à soumettre le projet de « traité constituant » destiné a changer la nature même de l’Union Européenne à la procédure de ratification incluant le referendum .Et le peuple français dit « non. Son « non » de 1969 avait renvoyé de Gaulle à La Boisserie, celui de 2005 va mettre l’Europe en panne.C’est un autre gaulliste, Nicolas Sarkozy qui, pour remettre l’Europe en marche requalifie le « traite constituant » en traité ordinaire et le fait ratifier par le Parlement .
Cette manœuvre de contournement de la volonté populaire – contournement partiel seulement car de fait l’Europe n’a toujours pas de Constitution – était justifiée aux yeux de beaucoup par la conviction qui est la leur d’une supériorité de la démocratie représentative sur la démocratie directe .Cette conviction est fondée sur une opinion que Daniel Cohn- Bendit a formulée de manière lapidaire a l’annonce du résultat du referendum britannique : « le peuple n’a pas toujours raison »Le pari de madame May , dans un tel contexte , est donc double . II est technique, mais aussi fondamentalement politiqueSocrate , au jeune Eutydème , qui voulait faire dune carrière politique disait : « Tu veux donc gouverner le peuple ? Mais sais tu bien ce que c’est que le peuple » ?La question mérite d’être reposée aujourd’hui à nos dirigeants .On peut y ajouter une question subsidiaire: « les dirigeants doivent ils obéir aux désirs du peuple ? «
A fronts renversés un homme de gauche, Daniel Cohn Bendit a répondu non, et une femme de droite , Theresa May, a clairement répondu oui .
Catherine Rouvier